Petite histoire du bronzage : de l’infamie de la peau mate à la folie du teint hâlé

A partir de quand le mépris à l'égard du bronzage a-t-il disparu ? Pourquoi ? Chacun(e) a désormais une carte d’identité solaire avec un capital à gérer depuis sa naissance. L’adolescent, autant dire le citoyen de demain, doit trouver par lui-même son phototype en testant sa sensibilité au soleil par un questionnaire en cinq points. Trois phototypes de peaux sont distincts : la peau blanche, cheveux blonds ou roux, yeux clairs ; peaux claires, cheveux châtains, yeux bruns ; la peau mate ou noire, cheveux foncés, yeux foncés. Les phototypes ont remplacé la référence à la race, sans pour autant faire disparaître le racisme. Ainsi la démocratisation de la pratique du bronzage repose sur une spécialisation des populations par une classification des peaux et des produits. La catégorisation des peaux est une nouvelle anthropologie biologique qui viendrait légitimer les différences naturelles entre les êtres humains. Face au soleil nous sommes fondamentalement inégaux, le grain et la texture de la peau définissent notre sensibilité solaire. En mettant l’accent sur le corps, sa physiologie et ses pratiques, nous découvrons que les représentations ne précèdent pas les pratiques : car les techniques, ici cosmétiques et esthétiques, proposent de nouvelles pratiques de nudité, d’image du corps. Le corps n’est pas défini et achevé par une représentation qui voudrait le contenir dans une série de disposition et d’habitudes. L’histoire du corps devrait partir des inventions techniques qui induisent des pratiques corporelles en organisant les nouvelles représentations sociales des sujets. S'est-on immédiatement mis à se soucier de la « qualité » de son bronzage ? A partir de quand est-ce devenu une « activité » à part entière, et pour quelles raisons ? La blancheur devient primitive là où la peau des bronzés, filmés en 1978 par Patrice Leconte, rend l’estivant Robinson dominateur qui éloigne, précise Jean Didier Urbain, les sauvages autochtones de nos plages. Si Plein Soleil avec Alain Delon en 1960 décrit comment le soleil peut brûler à la fois la peau et l’âme jusqu’au crime, le bronzage colore la peau en harmonisant les bruns par l’exposition au bain de soleil. Le soleil apporte la lumière, la chaleur et le bronzage, mais ces dimensions n’ont pas été découvertes en même temps. Etre bronzé devient un gage de succès et de réussite des vacances et du temps libre en allant finir sa retraite sous le soleil tropical. Le néocolonialisme solaire sert désormais d’alibi au développement d’un tourisme blanc tout en maintenant, comme dermo-politique, la référence à l’exotisme économique. Derrière les discours et les motivations esthétiques, la pratique corporelle du bronzage néo-colonial maintient le Sud comme un territoire solairement rentable. Les pays de l’Union Méditerranéenne trouvent dans cette recherche du soleil les moyens d’un développement exceptionnel. Selon L'Organisation Mondiale du Tourisme, basés sur les données recueillies en 2006 par une agence spéciale auprès des Nations Unies et l'organisation mondiale de tourisme (UNWTO) la Tunisie a enregistré une évolution de 2.6% et le Maroc signalait une croissance de 9.6 % pour la même période avec un nombre de touristes en de 6.4 millions en 2005 et 6.5 millions en 2006 en Tunisie et de 5.8 millions en 2005 et 6,4 millions en 2006 au Maroc. Depuis, comment notre rapport au bronzage a-t-il évolué au fil des décennies ? Est-ce désormais un marqueur de richesse, et pourquoi ? Etre nu sous le soleil et bronzé de toutes parts est inutile pour le naturiste mais aussi pour le « textile ». Pour le naturiste, la nudité est un mode de vie dont la pudeur et la protection solaire ne fondent plus l’exposition de soi. Pour le « textile », le moindre string suffit encore à délimiter le corps privé de celui public que l’exposition met en scène. La stricte délimitation de la marque, si visible chez les cyclistes, différencie le corps exposé de sa partie cachée sous le vêtement utilitaire. Se déshabiller, même dans le strip-stease, est une technique de contraste visuel entre le bronzage apparent et l’intimité exposée ; l’effeuillage devient lui-même un débronzage progressif de la peau par le jeu des projecteurs qui éclaire l’intimité jusqu’à sa blancheur impudique. Le souci est de bronzer dans la figure géométrique de peau dessinée par le monokini, le bikini ou le maillot une pièce : l’ajustement précis des bretelles, le changement de positions au soleil, le décrochage puis le raccrochage du soutien-gorge, le jeu de glissement du maillot pour favoriser l’exposition des parties vierges sont autant de gestes d’ensoleillement liées au vécu charnel de sa peau.

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